Le Jardin des amoureux A.Q

Beaucoup de généreux aiment la générosité de façon passionnée et ne peuvent pas s'en priver bien qu'ils soient dans la nécessité de se procurer de quoi faire preuve de générosité. Ils n'acceptent pas de réprimande en ce sens ni de blâme pour leur comportement exagéré dans la générosité. Quant aux amoureux de la science, ils sont plus avides et plus amoureux de la science que tous les amoureux pour leurs bien-aimés. Pour beaucoup d'entre eux, cette passion pour la science ne peut être détournée par n'importe quelle forme humaine si belle soit-elle. Il a été dit à l'épouse d'Az-Zubayr Ibn Bakkâr : " Félicitations pour toi qui n'a pas de coépouse avec ton époux ! " Elle a répondu : " Par Allah ! Ses ouvrages sont plus nuisibles pour moi que plusieurs coépouses ! "

Le frère de notre maître Abd Ar-Rahmâne Ibn Taymiyya m'a rapporté que son père a dit : " Lorsque le grand père entrait dans les latrines, il me disait : " Lis dans ce livre et élève la voix afin que je sache qui vient d'être atteint de migraine ou de fièvre ". Le livre se trouvait à son chevet. Lorsqu'il était conscient, il le consultait et lorsque le sommeil prenait le dessus sur lui, il le remettait à sa place. Un jour, le médecin entra chez lui et lui dit : " Il ne t'ait pas permis de faire cela, car tu te fais du tort à toi-même et tu fais passer l'occasion de ta guérison ! "

Par ailleurs, mon maître m'a raconté qu'ayant contracté une maladie, le médecin lui a dit : " Ta consultation des livres aggrave ta maladie ! " - " Je ne supporte pas cela, lui répondit-il et je vais te répondre avec tes propres arguments. N'est-ce pas que lorsque l'âme se réjouit et s'épanouit elle se fortifie et éloigne la maladie ? " - " Si ! " répondit-il. " Mon âme, lui dis-je, s'abreuve à la science et fortifie par là même sa nature, ce qui me procure de la sérénité ". - " Cela ne dépend pas de nous " lui dit-il alors.

L'aspiration aux attributs de la perfection est la plus utile des formes d'amour et la plus sublime. Cela arrive par la symbiose qui survient entre l'âme et ces attributs. C'est pour cela que l'âme la plus haute, la plus noble, la plus sublime et la plus disposée à l'amour, est celle au sujet de laquelle il a été dit : " Toi le tué par tous ceux que tu as aimés, choisis pour toi-même dans la passion celui que tu préfères ".

Si l'amour repose sur la symbiose et la conformité, ils s'affermit et perdure et rien ne le fasse disparaître sauf un empêchement plus fort que ces causes là. S'il ne repose pas sur la conformité, il s'agit d'un amour ayant pour soubassement un intérêt qui disparaît dès sa satisfaction.

En effet, celui qui t'aime pour un intérêt, cet amour disparaît dès la satisfaction de cet intérêt. Ainsi, si la cause de l'amour se trouve être un but intéressé de la part de l'amoureux, son amour ne saurait durer. S'il s'agit d'une chose liée au bien-aimé, éphémère et fluctuant, cet amour cesse avec la cessation de cette chose. Mais s'il s'agit d'un attribut nécessaire, son amour durera tant que dure le dessein qui l'a suscité, tant qu'il n'est pas compromis par une cause qui implique sa disparition. Il s'agit donc soit d'un changement de situation chez l'amoureux soit d'un tort provenant du bien-aimé. Or, le tort peut affaiblir l'amour ou le faire disparaître.

Le poète a dit à ce sujet : " Accepte le pardon de ma part et tu préserveras mon amour, et ne critique pas ma sévérité lorsque je me mets en colère, car j'ai vu que lorsque l'amour et le tort sont réunis dans un cœur ♥, l'amour ne tarde pas à s'en aller ".

Les amoureux se sont divisés en deux groupes dans ce domaine :

• Un groupe soutient qu'un amour que le tort fait disparaître n'est pas un vrai amour. Le signe du vrai amour, ajoutent-ils, est qu'il ne diminue pas sous l'effet du désagrément et ne disparaît pas à cause d'un tort. L'amoureux jouit de la douleur que lui inflige son bien-aimé. Tel est l'amour véritable qui implique la conformité totale, dans la mesure où l'amoureux a adopté le dessin de son bien-aimé et l'a mélangé à son propre dessein, en s'avilissant soi-même pour être en phase avec son avilissement par son bien-aimé. Dans cette perspective, il aime ses ennemis dans la mesure où son bien-aimé leur ressemble dans ses torts. Cela étant, même si les natures refusent cette forme d'amour, il n'en demeure pas moins qu'elle implique l'amour total et ses dépendances.

• Le deuxième groupe a soutenu que le tort annihile l'amour et le fait disparaître, en ce sens que les natures abhorrent de façon innée ceux qui leur font du tort, tout comme les cœurs ♥ aiment ceux qui sont bienfaisants avec eux. Ce que soutiennent les partisans de ce groupe comme arguments, sont des prétentions de leur part. L'opinion la plus équitable à ce sujet, est de dire que le cœur ♥ peut recéler la haine du tort du bien-aimé et son amour sous une autre forme, en ce sens qu'il peut l'aimer et haïr son tort. Telle est la réalité pratique. Le sentiment qui prend le dessus impose son pouvoir.

Ce sentiment a été exprimé par le poète dans ces vers de poésie : " Même si je souffre de voir que tu m'as fait du tort, je me suis réjoui de voir que tu as pensé à moi ".

Ce poète dit vrai dans la mesure où il avoue qu'il souffre de voir son bien-aimé lui faire du tort. Mais qu'il se réjouit de voir qu'il ait pensé à lui, non comme celui qui prétend jouir du tort infligé par son bien-aimé, car cela est contre nature, à moins que ce tort soit un moyen d'obtenir la satisfaction et la proximité du bien-aimé. Ce faisant, l'amoureux jouit du tort qui lui est infligé lorsqu'il y trouve la satisfaction de son but et de son dessein. Cette forme d'amour existe.

Un médecin m'a raconté qu'il jouissait de la prise d'un médicament amer en sachant qu'il contient la cause de sa guérison. " Je le mets sur ma langue et je le suce par amour pour lui " me disait-il. De là, découle la jouissance des amoureux pour les difficultés qui les mènent vers la jonction avec leurs bien-aimés et la proximité avec eux. Chaque fois qu'ils parlent de l'esprit de la liaison et de la voie dans laquelle ils cheminent pour y arriver, sa distance devient une jouissance pour eux et ils supportent avec saveur ses désagréments.